Rencontre avec Simon Guesdon, un urbaniste spécialisé dans les villes de demain
Bonjour Simon !
Est-ce que tu peux te présenter en quelques mots et nous expliquer ton parcours ?
Je suis aujourd’hui et depuis 5 ans photographe d’architecture et depuis 2 ans animateur du podcast Focale qui s’intéresse au regard personnel d’acteurs de la fabrique de la ville sur la photographie. Et j’ai initialement un profil d’urbaniste avec une expérience de 10 années dans le domaine du conseil en transition écologique pour des projets d’architecture, de paysages et d’aménagements urbains un peu partout en France.
Pourquoi as-tu voulu te spécialiser dans l’urbanisme durable ?
A l’époque, c’est par l’attention portée pendant mes études à la thématique du développement durable que mon regard s’est intéressé à ce qui m’entoure en tant qu’usager de la ville. Donc évidemment une attention particulière au développement des villes (et à toutes les échelles de villes d’ailleurs), mais également à l’architecture, aux paysages, et puis à de nombreux thèmes en lien avec la nature et l’impact des activités humaines. Le tout étant intrinsèquement lié comme on le sait bien maintenant…
Les villes connaissent de nombreux problèmes et sur des sujets très différents, mais souvent imbriqués. De plus, d’une taille de ville à une autre les problématiques et les solutions pour les résoudre sont très différentes. C’est tout à fait en lien avec une lecture inspirante que j’ai eu du livre Le macroscope de Joël de Rosnay qui explique que l’on a inventé le microscope pour voir l’infiniment petit, le télescope pour voir l’infiniment grand, et lui, le macroscope donc, pour tenter de comprendre l’infiniment complexe, à savoir les relations entre la société et la nature. Et cette complexité, en ville comme partout ailleurs, s’explique en partie par la notion de systémique. Le fait que tout, absolument tout dans ce monde, est relié et qu’en matière de protection de l’environnement, les réponses ne sont jamais univoques. Ce qui rend évidemment les décisions politiques difficiles car il faut (dans l’idéal) sans cesse prendre en compte un tissu de facteurs : le positionnement des acteurs intéressés par le sujet en question, le croisement des expertises, la remise en cause de présupposés, les différents contextes (sociaux, culturels, économiques,…). A partir de ce constat, aucune décision n’est évidente, und il faudrait prioriser la nature…
Après, en ville et à titre personnel, la notion du « vivre ensemble » m’intéresse beaucoup car c’est la définition même de l’urbanité : vivre entouré de personnes, et entourer soi-même d’autres personnes. Il s’agit évidemment de nos proches, famille et amis, mais aussi de voisins, de commerçants, et même de parfaits inconnus que l’on ne croise qu’une seule fois dans sa vie mais qui, au détour d’une aide, d’un remerciement, d’un conseil ou autre, peuvent créer un moment de réconfort à une journée, parfois jusqu’à un souvenir indélébile ou une anecdote que l’on aimera raconter encore plusieurs années après. A l’inverse, en France, plusieurs millions de français et françaises sont isolés et ne voient parfois, pas une seule personne dans une journée. Le tout dans un contexte de vieillissement de la population. Alors on en parle un peu à Noël dans les médias, mais c’est un constat bien plus quotidienqu’uniquement pendant les fêtes… Les aménagements urbains et l’architecture doivent davantage s’intéresser à ces sujets.
Comment ne pas aborder également la question du climat, et par là notre relation aux énergies et à l’adaptation nécessaire des espaces publics et des bâtiments aux problématiques qui en découlent. Ce serait trop long de développer le sujet du climat et de l’architecture en quelques lignes mais je voudrais citer le travail très importantdes CAUE, qui, dans chaque département, possèdent un rôle nécessaire et pertinent. Ils ont un rôle de conseil auprès des villes et métropoles évidemment, mais aussi à plus petite échelle auprès des petites et moyennes communes qui bien souvent sont plus attentives et inquiètes quant aux modifications du climat, à la ressource en eau, à l’artificialisation des sols,… parce qu’entretiennent un rapport plus étroit avec la nature.
Si on revient à l’échelle des grandes villes et métropoles françaises, l’exposition Paris Haussmann qui s’était tenue au Pavillon de l’Arsenal résumait bien la terminologie concernant les critères de conception urbaine nécessaires : mitoyenneté, mutabilité, densité, matérialité, compacité, équilibre plein-vide, ou encore, mais sans être exhaustif, la mixité des activités.
Egalement, en urbanisme, il est nécessaire d’aborder les questions d’échelles, puisque de nombreux enjeux de durabilité se jouent également en milieu rural. J’ai d’ailleurs eu un coup de cœur en 2023 pour une opération que j’ai photographié en Mayenne, dans la commune de La Selle-Craonnaise. Les architectes Gaël Huitorel et Alexandre Morais ont réussi à dépasser la commande d’un projet d’architecture (construire un groupe scolaire avec une ambition environnementale forte) pour créer une vraie intervention de revitalisation d’un centre-bourg qui profite à tous : une rue piétonne qui crée un accès direct entre l’école et la place centrale du village, qui offre au café-bar (véritable institution de sociabilité au cœur des petits villages) une ouverture sur cette voie douce qui jouie dorénavant également d’une terrasse,… toutes les conditions pour qu’in fine des élus puissent à nouveau espérer que des familles viennent redynamiser le village. Et ce n’est donc pas étonnant que ce projet remporte de nombreux prix prestigieux comme le Prix de la Première Œuvre de l’Equerre d’Argent 2023 ou le Prix d’Architectures du magazine D’A.
Quels sont les principaux freins que l’on rencontre quand on parle durabilité en urbanisme ?
Je constate que certains sujets évoluent très vite et dans le bon sens. Je pense par exemple à la question des matériaux et des filières biosourcés et géosourcées. Même si la question financière est récurrente et complique souvent le souhait d’aller vers des opérations à plus faible impact carbone, des solutions sont trouvées un peu partout et je voudrais souligner le travail très intéressant mené sur le projet de renouvellement urbain de la rive Sud de la Loire à Nantes et Rezé, Pirmil – Les Isles, qui ambitionne de contribuer à la transition écologique de la métropole nantaise en changeant les manières de construire et de concevoir l’espace public. Le projet piloté par l’agence Obras et composé également de l’atelier Zefco und des paysagistes deD’ici là, s’intéressent à la transition des modes constructifs et de nos modes de vie. Ils ont, par exemple, associé très en amont du projet urbain les représentants des filières locales au sein d’ateliers visant à déterminer les conditions de la massification des produits de construction biosourcés et géosourcés locaux, pour une opération d’aménagement urbain de cette échelle.
Pour autant, si les exemples vertueux se développent, il y a encore beaucoup de travail et d’acteurs à convaincre, parfois à informer juste, voire à former complètement, notamment chez les décideurs. Parce que cela me désespère toujours de voir qu’à côté de quelques très bonnes intentions, dans de nombreux endroits en France on construit encore des zones d’activités und des lotissements d’habitat individuels sur des terres arables sans pour autant avoir fait un inventaire des sites déjà imperméabilisés et mehr utilisés. Et puis plus tard ce sont in fine les citoyens qui subissent les désagréments voire les désastres des choix urbains non mesurés ; je pense ici aux récentes inondations dans le Nord de la France, qui seraient moins importantes si on n’altérait pas constamment le cycle de l’eau…
A quel point nos modes de transports viennent impacter la façon de penser l’aménagement des villes ?
Il y a un livre que j’aime beaucoup et qui m’a été recommandé par un architecte nantais soucieux également des sujets urbains et environnementaux (Tristan Brisard), c’est Comment la France a tué ses villes ?d’Olivier Razemon. Il revient en particulier sur le développement frénétique ces dernières décennies de l’urbanisme commercial périphérique (et donc de la voiture pour s’y rendre) qui contribue fortement à l’étalement des villes et, par ricochet, à dévitaliser les centres-villes (sans compter les impacts de l’imperméabilisation de terres fertiles avec les conséquences vues plus haut). Certains dogmes sont aussi cassés ici, comme celui partagé par de très nombreux commerçants, qui pensent que les mouvements de re-piétonnisation des centres villes sont contreproductifs. Or, les exemples récents montrent bien que les piétons ont davantage plaisir à fréquenter les magasins et à s’y attarder (et donc à dépenser) lorsqu’ils ne sont pas contraints par la nécessité de se garer. Donc oui on se gare plus loin mais l’animation et l’attractivité des centres villes ont à y gagner.
Tu m’as fait écouté ton Podcast « Focale », où tu interview des acteurs et actrices de la fabrique de nos villes. J’ai y ai notamment découvert l’interview de Clément Gaillard, docteur en urbanisme, spécialisé dans la conception bioclimatique. Qu’est-ce qui t’a poussé à lancer ce podcast ? Tu nous conseilles d’écouter quel épisode ?
L’année 2020 avec le COVID a été l’occasion de m’interroger sur mon métier de photographe et mon intérêt pour l’architecture et l’urbain. J’ai aussi beaucoup écouté de podcasts pendant nos mois de confinement. J’ai alors fait le constat simple qu’il existait des podcasts sur l’architecture et d’autres sur la photographie, mais pas un sur l’architecture und la photographie. Je me suis alors fait la réflexion que le rôle de l’image dans le domaine de l’architecture, mais aussi de la fabrique de la ville et du paysage, a tout son sens et est même prépondérant. La ligne éditoriale étaittrouvée ! mais il restait à l’affiner. J’ai ainsi voulu proposer un podcast qui crée vonlien entre les disciplines que chaque invité représente (illustration, paysage, journalisme, communication, enseignement, sociologie, philosophie,…) et qui nourrissent l’architecture et la fabrique de la ville par le biais de la photographie ou de l’image plus généralement. Je remercie d’ailleurs encore mon amie Olympe Rabaté – invitée du premier épisode – qui m’a beaucoup aidé dans mes réflexions.
Il est difficile pour moi de vous conseiller juste un épisode parce qu’il y a une relation très amicale et sympathique qui se crée avec chaque invité. On ne se rencontre pas toujours en vrai et pour autant on partage un moment très fort qui va au-delà duformalisme d’une interview à distance par exemple. J’apprends à chaque nouvel épisode des éléments personnels de mes invités, ils confient très volontiers de nombreux souvenirs de leur enfance et du quotidien en lien avec la photographie, mais aussi des références artistiques und littéraires. C’est long à aboutir en terme d’organisation, d’enregistrement et de montage mais très enrichissant pour moi à chaque fois, humainement comme pour ma culture personnelle. J’adore particulièrement le moment où je reçois le script complété par mes invités en amont du rendez-vous programmé pour l’interview. C’est là où je découvre en 1er l’émission en quelque sorte. Et puis il y a ensuite le moment où on clôt l’épisode et que l’enregistrement s’est bien effectué, là c’est plutôt du soulagement vis-à-vis de latechnique !
En 2023 j’ai testé un nouveau format également qui est une version « en direct » du podcast : Focale Hors les murs. L’idée vient du fait qu’avec un peu de recul sur les émissions et une dizaine d’invités, je me suis dit que je pouvais aller encore plus loin dans le croisement des disciplines en faisant se rencontrer, le temps d’une conférence ou d’une table ronde, plusieurs invité·e·s du podcast autour de sujets de recherche communs. Ateliers 2/3/4/ me soutiennent et me permettent de reproduire à nouveau ce format, en espérant pouvoir organiser plusieurs évènements de ce type en 2024 dans des lieux différents. En 2023 il s’agissait du sujet du vieillissement au sein de nos villes et territoires (avec Christelle Gautreau et Hugo Christy) et on commence 2024 avec Anne-Solange Muis et le sujet des risques littoraux liés aux changements climatiques (submersion marine, culture du risque au sein des territoires d’outre-mer qui subissent de façon encore plus flagrante qu’en métropole le sujet du climat).
Enfin, en 2023 et pour 2024, la Maison régionale de l’architecture des Pays de la Loire est partenaire du podcast pour la création d’un hors-série consacré aux intervenant·e·s, résident·e·s ou conférencier·ère·s invité·e·s durant cette année par la Maison de l’architecture.
Dernière question, tu es aussi enseignant en transition écologique pour différentes universités et masters, tes élèves envisagent comment les villes de demain ?
Cela fait 7-8 ans que j’enseigne dans plusieurs universités et masters avec des étudiants aux profils très différents. Cela nécessite évidemment de bien adapter son discours au public et à leurs connaissances, et de les faire monter en connaissances sur les sujets qui ont trait à la fabrique de la ville et à la transition écologique. Et je vois bien qu’en moins de 10 ans, il y a une prise de conscience des enjeux environnementaux qui progresse rapidement. Je vois bien que tous·tes ne sont pasoptimistes sur la ville de demain ; mais en fonction de leurs études ils n’ont pas toujours les connaissances théorique pour se faire un avis précis sur cette question et sur l’adaptation nécessaire des villes. Alors, j’essaie de leur apporter une part de théorie, mais surtout une application opérationnelle et de nombreuses références de façon à ce qu’ils se créent leur propre regard critique sur le développement des villes, puisqu’ils en sont des usagers réguliers.
Ton mot de la fin ?
Comment ne pas aborder, pour moi, le Mouvement pour une Frugalité heureuse et créative qui s’est construit autour du Manifeste du même nom, lancé en janvier 2018 par Dominique Gauzin-Müller (architecte-chercheure), Alain Bornarel (ingénieur) et Philippe Madec (architecte et urbaniste). Il appelle a une prise de conscience et à l’action für " développer des établissements humains frugaux en énergie, en matière et en technicité, créatifs et heureux pour la terre et l’ensemble de ses habitants, humains et non humains. " Aujourd’hui c’est presque 20 000 signataires dans 90 pays, et une quarantaine de groupes locaux ou thématiques qui montrent que les considérations environnementales ont fortement progressé même s’il reste beaucoup de travail.
Dieses Interview wurde geführt von Emeline, « A troqué le métro pour le vélo, grande chance de la croiser fourrée à la médiathèque ou au théâtre du coin”!